LES NUS, groupe mythique rennais, refait surface pour réamorcer cette musique noire et sale qu'ils ont pratiqué d'une manière fanatique au début des années 1980. Leur nouvel album, le deuxième en trente ans, recompose un répertoire unique, déjà salué par la reprise du culte « Johnny Colère » par NOIR DÉSIR sur leur album Tostaky (1992) et les hommages appuyés d'Étienne DAHO (qui produit leur single) ou de Christophe MIOSSEC. Un rock épique et littéraire, puissant et racé, qui rêve toujours de combats mythologiques et d'odyssée électrique.
Comme jaillit en gerbe d'étincelles à l'aube de la décennie 1980, mais chargé de toute l'électricité et de l'impatience accumulée au fil de ces années, revoici donc LES NUS avec un nouvel album, deuxième du nom après un premier (1982) qui les avait définitivement ancré comme une comète dans le firmament du rock français, au fil d'une centaine de concerts sauvages et incandescents. À l'heure où la notion de « rock français » se réveillait et s'inventait d'autres esthétiques dans les rues de Rennes, le groupe, emmené par Christian DARGELOS au chant (cofondateur, avec Franck Darcel, du groupe Marquis de Sade en 1977), par Frédéric RENAUD à la guitare (lui aussi ex Marquis de Sade), par Rémy HUBERT (clavier) et Alain RICHARD (batterie), fonçait dans l'énergie du punk et les harmonies d'une new-wave encore en invention, le regard tourné vers Londres, New-York ou Berlin. Depuis, la malédiction de la Province semblait frapper ce groupe au statut « culte », mais régulièrement ignoré des rétrospectives, compilations et autres joyeusetés du genre.
En 2013, le fidèle Jean-Louis Brossard (directeur des TRANSMUSICALES de Rennes) cogite avec Rémy Hubert un concert événement pour fêter les 25 ans de l'album des NUS. Le groupe (à l’exception de François Conan, remplacé à la basse par l'ex-Marc Seberg, Pierre CORNEAU) répond à l'appel pour une première répétition qui, à l'étonnement général, fonctionne comme au premier jour. Le travail commence, dans la simplicité et l'allégresse, pour ressusciter ces perles que sont « La force de L'Islam », « L'étrange vie », « Les années Reagan» ou l'immuable « Johnny Colère ». Mais la foudre frappe. Le légendaire guitariste Frédéric décède brutalement en juillet, chez lui, à Paris. Le concert prendra la forme d'un hommage, avec les compagnons Chris Georgelin et Dominic Sonic aux guitares. L'émotion est au rendez-vous. Mais, surtout, la musique des NUS reprend ses droits, impressionnant une salle pleine qui retrouve autant sa jeunesse que la valeur de leur écriture. « La reformation des Nus m'a vraiment beaucoup bouleversé, non pas par nostalgie, mais pas la puissance qu'il y a dans leurs chansons » expliquera Étienne Daho, ce soir-là. Il propose au groupe de produire en single « Les Années Reagan ». Un nouvel album des NUS ?
Goulven HAMEL, guitariste de Santa Cruz et mercenaire chez l'ami Christophe Miossec, reprend le flambeau des guitares. En dix jours de studio, à Rennes (Cocoon), Éric Orthuon capture l'énergie, l'envie et l'urgence, de ces onze chansons recomposées, issues pour la plupart de maquettes destinées au second album. La coupe est pleine, débordante. Les amplis et les claviers crépitent. On joue à l'ancienne, en faisant du rock sans se poser des centaines de questions. La complexité de la musique des NUS se suffit à elle-même, dans ses harmonies et ses structures étonnantes. Dans son évidence, aussi, cette puissance fière qui fonce droit devant et finit par définir un style. Étienne Daho rejoindra deux jours les garçons à la campagne, gentleman musicien qui orientera les prises et le mixage de ces « Années Reagan » vers une vision. Avec fidélité, délicatesse, classe et sensibilité… Les pistes partent pour Paris, dans le studio de Jean-Louis Piérot, ex Valentins, compagnon de route d'Étienne et de Bashung sur son chez d'œuvre « Fantaisie Militaire ».
Et l'on redécouvre ou redécouvre la puissance de ces chansons et des mots, l'étrangeté conquérante du chant de Christian Dargelos, toujours aussi charismatique en scène. Dans cet univers Fellinien, nourri de références circasiennes et de citations littéraires (Cocteau, Genet, Oscar Wilde), la dramatisation et la mise en espace sonore sont au cœur d'un combat qui ne dit pas son nom. On croise des saltimbanques, des trains voyageurs, des scènes d'enfance, une jeunesse éternelle où le « Grand Meaulnes » rêve de guitares électriques. Les claviers Doorsiens et les guitares tranchantes à la Television tissent une toile épaisse qui rappelle les jeunes Stranglers (signalons ici que la valse « Le funambule » a été composée deux ans avant « Golden Brown »). La rythmique mêle puissance et finesse. Parfois, la musique se calme, explore d'autres univers (« Le train », « Les marins »), s'aventure sur les terres de chansons plus « pop » (« Petite fille », « Le Clown Triste »). Mais là encore, on sent que le groupe a toujours de quoi faire grogner les lampes et repartir de plus belle… La revanche, la gloire d'un retour fracassant, sont des idées qui brillent par leur absence. Ici, on parle simplement de musique, de parcours, de vie, de mort, d'énergie, de joie et de plaisir. Ici, la musique croit encore en la possibilité pour le rock de défier les mythes. Il y a cette respiration fondamentale dans ce disque, un souffle héroïque venu d'un âge révolu où l'on défiait encore crânement les figures, les références et les rêves, dans un sombre combat mythologique. LES NUS pratique un rock épique, qui part à l'attaque drapé dans ses oriflammes en mêlant les références et les citations.
Visages serrés et regards fiers, crinières blanches et rides assumées, les NUS sont de retour. Avec une honnêteté fondamentale et un son qui ne triche pas. Avec un disque puissant, noir et littéraire, qui reprend le fil d'une histoire en conservant jalousement la force et l'exigence cet « esprit Nus » au-delà des années. Par fidélité, par mémoire, mais surtout par conscience qu'il ne sert à rien de courir pour rattraper un temps circulaire. LES NUS repartent à l'assaut des citadelles endormies. Et, cette fois, il se pourrait bien qu'elles se réveillent.