La danse des loups
L'album s'ouvre sur cette Danse des loups, grognement épique et puissante ode électrique évoquant un Temps Ancien où les carnassiers défiaient la « Loi » et les « Rois ». Tandis que, sous la « lune », la rythmique bastonne sans crainte sur la neige glacée, le jeu de miroir entre les guitares et les claviers Doorsiens annonce magnifiquement les couleurs harmoniques de l'album. Un refrain romantique, en forme de dialogue à la Byron ou Shelley , jaillit dans la nuit en nous glissant que « les loups pleurent aussi quand ils ont peur ».
Le mime hurlant
Lancé par un arpège millésimé, Le Mîme Hurlantconsacre définitivement le pouvoir d'évocation et la théâtralité du chant de Christian Dargelos. Sous son « visage blanc » et ses « rides cernés », l'acteur oxymore constate, incrédule, la disparition de son monde et la mort qui rode, se révolte, s'insurge et crie. Mais, devant l'indifférence générale, il quitte la scène en saluant d'un laconique « bonsoir ».
Les années Reagan
Première pièce maîtresse du disque, Les années Reagan convoque Steinbeck, Dos Passos et Fante au chevet de l'aigle blessé de cette Amérique rêvée et lézardée. Alors que rythmique et guitare puissantes tissent une toile rêche, cousue de filaments d'or, héroïque sur la plaine désolée, la bannière des NUS claque fièrement au vent, portée par la production très efficace d'Étienne Daho. Ce road-movie d'une autre décennie, dédié au « froid », à la « faim », à « l'amour » et à la « haine », résonne pourtant de toute sa force contemporaine.
Les marins
Le temps est soudain à l'accalmie. Depuis les rivages de Bretagne, ces Marins « abandonnés des Dieux » avancent sur la mer, dans la folie, l'absence et la mort. Après la démesure d'une tempête de guitare et un dernier refrain triomphant où les « gosses » défient une dernière fois l'océan assassin « en crachant par terre », le vaisseau entre dans l'Achéron dans une douce ambiance délétère.
Le clown triste
L'harmonica relance la danse et change le tableau pour une nouvelle et très pop incarnation circassienne. Dans cet autre cruel jeu de miroir du destin et du temps, ce Clown triste a perdu son énergie, sa superbe et sa foi. Il nous apostrophe et pose crûment la question de cette jeunesse qu'on voudrait éternelle : « alors, dis-moi, où vont les clowns quand ils ont grandi ? ». Mais que peut-il rester à « un bel oiseau sans lyre » confronté à ses souvenirs ?
Les rideaux rouges
Sous un poisseux slide de guitare, alors que la pluie résonne au-dehors, le très Bad Seeds Rideaux Rouges nous entraîne en voyeur dans les velours et les satins usées d'un bordel. Alors que la rythmique assoit un groove marécageux, le narrateur ne semble plus très bien savoir ce qu'il est, du spectateur ou de l'amoureux transi. Alors que la chanson décolle sur un Diddley Beat, il se cachera jusqu'au bout derrière son objectif, contemplant cette « jolie flamme qui s'éteint » finalement dans la solitude, comme la « Baby Blue » de Bob Dylan.
Johnny Colère
C'est une chanson d'anthologie pour le rock français et la pièce centrale de l'album. Sur cette version de 2016, la « victoire » appartient enfin aux NUS. Tandis que l'orgue arabisant grogne dans ses lampes, rythmique martiale et guitare conquérante et au scalpel repartent à l'assaut des barricades drapés dans leur uniforme de rocker « noir brillant ». Et quand la voix débarque, que le morceau monte inexorablement en puissance, on comprend que cette version de Johnny Colère sera désormais l'originale indépassable, et que c'est bien ce camp qu'il nous fallait choisir…
Le funambule
Une valse plombée, composé quelques années avant le Golden Brown des Stranglers, sert sur un plateau ce nouveau personnage circassien. Encore une magnifique histoire de départ et de désillusion qui tourne sous un étrange chapiteau Fellinien. Ici, la douceur des harmonies et des images d' « ange » et de « soleil » pourraient faire croire à une pause. Mais le « crime » reste en souterrain, comme le départ et l'abandon. Et le rire final semble bien sortir des Enfers.
Le train
La puissante et inquiétante locomotive nocturne du Trainprendra son temps pour quitter son quai brumeux et fantomatique. Encore faudra-t-il trouver sa place, dans cette fausse promesse de « jours meilleurs ». Le piano tourne une étrange et glaçante ritournelle, avant qu'une guitare cinglante ne tente de prendre tout le monde de vitesse. Il n'y plus d'autre choix que de la suivre et d'avancer en quête « dans la nuit ». Impossible de résister à l'appel de ce train sans horaire et « sans voyageur ». Les claviers inventent des paysages spectraux et filent dans la nuit vers une fin en crescendo explosif qui ne veut plus s'arrêter, lancer sur ses rails à la Sympathy for the Devil.
Petite fille
À la sortie du tunnel, une douze cordes carillonnent pour réconforter cette Petite fille qui « pleure toute seule dans la nuit ». Dans cette balade au grand cœur et aux basses ronflantes, un piano bastringue guide les pas de « la belle orpheline » entre les « ombres » et les « épines », vers cet étonnant « singe aux grands yeux » qui scintillent comme une promesse de réconfort. C'est sûr, cette « maison bleue » n'est pas celle de San Francisco et semble plutôt abrité un disciple corrompu du docteur Freud.
Une étrange vie
Dernière créature de l'étrange bestiaire humain des NUS, ce « petit homme » à « l'instrument d'argent » semble errer dans un monde à lui, dans son Étrange Vie. Puis, la chanson bascule soudain chez Cocteau quand le narrateur se retrouve dans un « palace en ruine » rempli de freaks tout droit sortis de la pochette de Strange Days. Guitare, basse et clavier s'entortillent dans cette douce folie harmonique. Un dernier licks répétitif de guitare, puis Ray Manzarek (Doors) et son disciple Dave Greenfield (Stranglers) s'acoquinent à quatre mains pour un solo final qui clôt magnifiquement l'aventure et l'album.
L'écran noir du silence est désormais rempli d'images étranges, de créatures frôlant la folie et la mort, d'électricité indomptée et de références concassées en milliers d'éclat de verre tranchant. Le monde magique et noir des NUS s'est refermé dignement sur lui-même, sauvegardant les éclats de sa perle. Il ne reste plus qu'à reprendre le trajet.